La Cour suprême australienne s’est reconnue compétente, dans un arrêt en date du 10 décembre 2002, pour juger du caractère diffamatoire de propos tenus sur un site américain. Dow Jones, propriétaire du site attaqué, estimait que seul le juge américain pouvait entendre une telle plainte.
La Cour suprême australienne vient de se déclarer compétente dans un arrêt du 10 décembre 2002 [austlii.edu.au] pour apprécier le caractère diffamatoire de propos tenus sur un site hébergé aux Etats-Unis. L’affaire oppose l’homme d’affaire Joseph Gutnick à Dow Jones, société publiant le Wall Street Journal à la suite de la diffusion sur le site internet du quotidien financier d’un article. S’estimant diffamé, le financier décida de saisir la justice australienne. Pour sa défense, le quotidien estime que ces juridictions ne sont pas compétentes car l’article incriminé a été publié à partir du sol américain, où se situent les serveurs du site et les équipes rédactionnelles.
Dans son arrêt, la Cour suprême rejette l’argument et estime que les juridictions australiennes peuvent juger du caractère licite ou non d’un contenu situé sur un serveur dans d’autres Etats. L’élément à prendre en compte est donc le lieu où le préjudice peut être causé et en aucun cas, uniquement, le pays d’origine. En effet, relève l’un des juges, en matière de diffamation le lieu du dommage « sera celui où le contenu sera disponible sous une forme compréhensible et bien évidemment, à condition que la personne diffamée ait dans ce lieu une réputation qui est atteinte ». En pratique, dans le cas d’internet, le juge estime que c’est lorsque la personne télécharge la donnée que l’atteinte à la réputation se crée et, en conséquence, le juge compétent sera celui du lieu où naît le dommage.
Cette affaire Dow Jones se rapproche de plusieurs affaires françaises. Ainsi, le 13 novembre 1998, le Tribunal de grande instance de Paris avait appliqué la loi sur la liberté de la presse au cas d’écrits révisionnistes publiés sur un serveur hébergé aux Etats-Unis. Dans le prolongement de cette affaire, le même tribunal avait ordonné le 22 mai 2000 à Yahoo! Inc de bloquer la consultation de son service de ventes aux enchères en raison de la présence d’objets à caractère nazi. Ainsi le juge français a eu l’occasion à plusieurs reprises de se déclarer compétent et de faire applicable de la loi loi où le contenu peut être consulté et non celle du lieu de son hébergement physique.
En pratique, même si des affaires similaires sont relativement rares, en raison de l’universalité d’accès, de nombreux régimes juridiques sont susceptibles d’être appliqués simultanément à un unique écrit diffusé sur internet. Peut-être que la solution finale reviendra aux juges de l’exécution qui pourront, par exemple, essayer de concilier le régime juridique du pays de la victime et celui du pays où est stocké le contenu ou réside l’auteur. Dans l’affaire Yahoo!, les juges américains ont ainsi refusé de déclarer la décision française conforme au droit commun au nom de la liberté d’expression garantie par le premier amendement.